
Comment grandir, se reconstruire, lorsque papa est en prison pour avoir tué maman ? Chaque année, des dizaines d'enfants sont confrontés à ce drame. Souvent tiraillés entre deux familles, ils sont les victimes parfois oubliées des féminicides. Que deviennent-ils après un tel cataclysme ? « C'est le juge des enfants qui en décide. Ils peuvent être confiés à des oncles, tantes ou grands-parents, ou bien, si aucun parent proche ne se propose, à l'ASE », l'aide sociale à l'enfance, résume Isabelle Steyer, avocate spécialiste du sujet.
Les proches de la mère étant souvent « trop anéantis » pour pouvoir assurer ce rôle, il n'est pas rare que le juge place les enfants dans la famille paternelle. Or, celle-ci tient presque toujours un discours de « déni », regrette l'avocate : « Ils vont dire que c'est le père, la victime, du système judiciaire, ou de la folie et de l'agressivité de sa femme hystérique », déplore-t-elle. Après le meurtre de sa mère en 2017, Manon, 9 ans (prénom modifié) a été recueillie par sa tante maternelle, mais se rend régulièrement chez ses grands-parents paternels.
« Ils lui disent : "Tata ne doit pas être en colère, parce que c'était un accident" », raconte la sœur de la victime. « Ils lui ont aussi fait un album photo avec ses parents collés l'un contre l'autre en première page, et lui disent "t'as vu comme ils s'aimaient ?" » Pour Manon, « c'est compliqué. Ça reste son père », soupire la tante. Lorsque le contexte familial empêche totalement l'enfant de « parler de ce qu'il ressent », ces « non-dits » risquent d'entraîner des « troubles traumatiques chroniques », met en garde la psychologue Karen Sadlier.